« Cratère »



Sophie se tenait au pied de la montagne et regardait en haut.
Le chemin à ses pieds ne demandait qu’à être emprunté.

Elle regarda Pascal.
« Tu doutes ?, dit-il.
-       Non, je… Je réfléchis…
-       C’était ton envie, ton idée, ton BESOIN, même… Et après tous ces beaux discours, tu doutes… »
Pascal ricanait presque, mais sans aucune méchanceté.
Après un long silence, Sophie répondit :
« Peut-être un peu, mais ce n’est pas une décision facile non plus. Une fois qu’on sera là-haut on ne pourra plus reculer. »
Pascal lut dans les yeux de Sophie : la peur.
Mais Sophie, elle, lut dans les yeux de son ami et vit de la sérénité. Cela la calma, et la décida.
Elle lui prit la main et commença à marcher.

Mais après quelques pas, elle s’arrêta, se retourna vers lui et le regarda…
« Je veux simplement une chose.
-       Je t’écoute…, répondit Pascal
-       Je voudrais que nous restions silencieux tout le long du trajet. Ensemble, main dans la main, mais seuls dans nos têtes. Tu comprends ?
-       Je crois, oui. »

Après ces mots, il était temps de s’y mettre sérieusement. La marche commença pour de bon.

L’air était doux, mais froid : l’hiver avait du mal à laisser place au printemps.
Sophie s’était bien couverte. Pascal n’avait sur lui qu’un gilet. Elle se demanda comment il tenait le coup. Avait-il une sorte de radiateur interne lui permettant d’avoir chaud en toute circonstance ? En tout cas, il n’avait jamais froid et n’était jamais malade.

Mais grimper sur les pentes raides, au milieu d’une forêt protégée du vent, donnait chaud. Sophie s’en aperçut vite et regretta de ne pas avoir imité son ami.
Après tout, il n’était plus important de tomber malade à ce stade, étant donné là où ils prévoyaient d’aller…

Plus ils avançaient et plus son cœur battait, plus sa tête lui lançait.
Pascal avait raison : elle doutait.

Et quand cela avait-il commencé ? Ce matin, dans la chambre d’hôtel.
Dans la chaleur des draps, la chaleur due à la proximité des corps.
Pascal s’était levé rapidement et elle l’avait suivit pour le petit déjeuner : il était tard déjà et ils ne voulaient pas le rater. Même si là aussi, ça n’avait plus d’importance, finalement… Puisque, une fois arrivés en haut du volcan, ils sauteraient dans le cratère.

Mourir, au fond d’un volcan… L’idée lui plaisait.
C’était comme retourner dans le berceau, revenir à la mère…
Le berceau terrestre. Tellement de significations dans ce geste…

Plus rien ne les retenait à la vie, ni l’un ni l’autre, et c’est comme ça qu’ils s’étaient trouvés, d’ailleurs. A force de se traîner, de déceptions en abandons, à force de tomber toujours plus bas que terre, on finit par avoir des idées bizarres.
Elle lui avait parlé de son plan, un jour, et ils en avaient discuté longuement. Se faisant des promesses de désespérés : « Et si tu tombes, je tomberais avec toi… »

Mais ce matin, dans la chambre d’hôtel, elle n’avait plus ressenti le poids de la vie.
Là, dans ce lit, il s’était passé quelque chose… La chaleur, un battement de cœur qui s’envole, et comme un rayon de soleil dans la pièce, alors même que le volet était fermé.
Elle ne s’était plus sentie écrasée, tout à coup. Mais légère…

Et elle se demandait, elle se demandait… Si Pascal l’avait senti, lui aussi. Ce battement, ce froissement d’ailes, ou peu importe ce que c’était… Ce truc qui semble vouloir bouleverser et renverser ta vie, mais pas pour te faire du mal… Un truc, qui fait du bien.

Gravir en silence le chemin lui permettait de réfléchir à tout ça, à son rythme.
Parler, ça aurait été trop. Il fallait se recentrer d’abord avant d’ouvrir la bouche.
« Là-haut, on aura tout le temps de parler », pensa-t-elle.

Plongée à l’intérieur d’elle-même, Sophie ne voyait pas que le sommet se rapprochait, et qu’il serait bientôt l’heure de prendre les décisions définitives.
Plus que quelques centaines de mètres… Et plus que quelques mètres…

Pascal s’arrêta. Sophie le regarda.

Dans leurs yeux, la question qui ne franchissait pas leurs lèvres : « Tu est sûr-e ? »
L’éclair du doute dans le regard de Sophie, et celui de la compréhension dans celui de Pascal.
Ce regard, qui s’éternise entre eux…

Puis Sophie se remet à avancer, et Pascal la suit.

Voilà, ça y est, ils sont au bord du cratère, au bord du précipice…
Sophie s’arrête, pose son sac, l’ouvre, et retire quelques affaires.
Elle se retourne vers son ami :
« Je crois que c’est une mauvaise idée, en fin de compte, non ? Trop définitif … »
Pascal ne sait que dire, que répondre, alors il reste là et la regarde faire, attendant qu’elle ait fini de se décider.
Après tout, c’était surtout sa décision à elle. Il l’avait suivie, parce qu’il était hors de question de la laisser comme ça, toute seule.
Il l’avait suivie, parce qu’il l’aimait.

Sophie s’est relevée.
Elle arme le bras, avec de vieux objets dans la main.
« Je balance tout ça, c’est mon passé. Mon passé est mort, mais pas moi. »

Quand elle a fini de se débarrasser de ses affaires, et après avoir regardé la chute, celle qui aurait dû être la leur, Pascal tend la main à Sophie et la prend dans ses bras.

Sophie se sent légère, enfin. Illuminée. Le même sentiment que ce matin, mais en mieux.
Son cœur se réchauffe dans les bras de Pascal. Elle pleure, mais parce qu’elle se sent joyeuse, apaisée, aimée.
Amoureuse…
Tellement de sentiments qui lui avaient manqués.

De fatigue, ils finissent par s’asseoir, là, devant le cratère, au bord du trou.

Ils redescendront, mais le temps ne presse pas. Ils ont mille choses à se dire avant ça, et mille promesses à se faire.


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