« Eclipse »



Antoine, seul, dans son appartement.
Devant les fenêtres, la vue sur la ville.
Une très belle vue, car son appartement est l’un des plus hauts, et Antoine vit au dernier étage.
Lever de soleil printanier, les rares nuages se colorent en jaune.

Antoine, seul dans son lit.
Une bouteille d’alcool vide traîne par-là, une autre par ici… Et des cendriers pleins.

Antoine ouvre les yeux, lentement. Essaie de faire le point, d’y voir plus clair.
L’estomac plein, au bord de la nausée.
Il émerge, doucement.

La soirée d’hier…
La soirée d’hier ? Antoine ne sait plus.
Il tourne et retourne dans le lit, essaie de trouver des images, mais rien. Le noir, le vide….

Le soleil se fait de plus en plus présent, il devient impossible de l’ignorer.
Les premiers rayons entrent dans la chambre. La pièce devient lumineuse.

C’est pour ça qu’il avait choisi l’appartement d’ailleurs : pour sa lumière.
Il l’avait visité un matin de printemps comme aujourd’hui, dans cette période où tout s’éveille, où tout semble joyeux.
« Un nouveau départ », s’était-il dit…

Deux ans plus tard, le nouveau départ est une vaste foutaise.
Il l’est très vite devenu, d’ailleurs...

Antoine avait changé d’endroit pour reprendre sa vie à zéro, et ça n’avait pas marché.
Parce que ça ne fonctionne jamais, en réalité… Et il commençait à le comprendre.

Recroquevillé dans le lit, là, depuis tellement longtemps qu’il a oublié combien d’heures, Antoine observe la course du soleil sur les murs de la pièce.

Midi.
Midi, et je suis toujours au lit.
Toujours en train d’essayer de me rappeler.
La nuit dernière, la semaine dernière, ou le mois dernier, c’est pareil… Soirées embrumées de liquides bizarres, à fumer des herbes toutes aussi bizarres… Rien, il n’y a rien.
Et que décider pour aujourd’hui ?
Que décider pour ce soir ?

Treize heures.
Depuis quelques minutes, le soleil semble ralenti dans sa course. Sa luminosité est moins intense. Comme si un nuage s’était campé là devant lui.
Mais le ciel est dégagé, pourtant.
Antoine garde les yeux ouverts, surveille.

Mais qu’est-ce que ça pourrait bien lui faire, le temps qu’il fait ? Qu’est-ce que ça pourrait bien faire, qu’un nuage passe devant le soleil et semble l’assombrir de minute en minute ?
Puisqu’il va rester là, dans le lit, de toute façon…

Et puis il fait plus sombre, tout à coup, comme un ciel d’été avant un gros orage.
Antoine pense qu’il n’a pas vu passer le temps, que c’est déjà le soir.

Mais soudain il comprend…
Dans son cerveau fatigué, il se rappelle. Deux mots échangés au cours de la soirée, à propos d’une éclipse.
Il avait parié qu’il pleuvrait toute la journée et qu’il serait impossible de la voir.

Apparemment, il s’est trompé…

Le ciel s’éclaircit peu à peu, comme après l’orage.

Et tout à coup Antoine décide quelque chose.
Le soleil. Apparition, disparition. L’orage. L’été.

Il est temps de chasser les nuages, pense-t-il.
Il est temps de…

Il s’assoit sur le lit, face à la fenêtre, et profite des derniers instants de l’éclipse.
Cette lueur qui donne à la ville une teinte toute spéciale, un peu terne, un peu triste, et bizarre.

Quand le soleil de printemps est de retour, avec sa luminosité forte et jeune, sa chaleur douce et joyeuse, Antoine a pris de grandes décisions.

Il se lève, prend quelques bouteilles au passage, va à la cuisine.
Il pose les bouteilles près de la poubelle, prépare le café, et commence une liste.
Une liste de tout ce qui ne va pas dans sa vie, tout ce qui ne va pas tant sa tête.

Le téléphone sonne. Quelqu’un frappe à la porte.
Antoine ne décroche pas, et n’ouvre pas.
« Je ne veux plus vous voir », pense-t-il, « Vous êtes mon nuage, et j’ai besoin de soleil. L’éclipse est terminée pour moi aussi ».

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