"Ombres"




 C’était le dernier jour d’école et aussi le début de l’été. Une très belle journée ensoleillée.
Jack devait rentrer seul pour la première fois. Mais il n’avait pas peur.
Le chemin de l’école à la maison était agréable, et de toute façon à la rentrée prochaine il devrait le faire seul.
Sa mère ayant enfin trouvé du travail, elle ne pourra plus l’emmener ni venir le chercher.

Aujourd’hui était le jour du test.

Jack était content : seul et sans obligation de tenir la main de sa mère, il se sentait libre.
Il avait deux rues à traverser et savait tout ce qu’il y avait à savoir sur la façon de s’y prendre : s’arrêter au passage piéton, regarder à gauche et à droite, attendre que les voitures passent, puis traverser.
Le reste du trajet était simple.

Pris dans ses rêveries joyeuses tout en marchant, Jack ne vit pas la lumière changer légèrement, et n’entendit pas le bruissement des feuilles.
Ce petit vent soudain qui s’était levé, sans aucune raison…
L’air se fit plus frais, tout à coup.
Jack frissonna sans s’en rendre compte.
Il ne remarqua pas tout de suite les ombres des arbres, qui semblaient devenir vivantes, bouger du tronc aux feuilles, alors que les arbres étaient vieux et solides et que le vent n’était pas si fort.

Et puis, quelque chose accrocha son regard…
Des yeux. Des yeux qui bougeaient dans les ombres, avec elles.

Jack continua de marcher, sans se préoccuper de rien car son imagination était grande et ce ne pouvait être encore qu’une de ces histoires dans sa tête…

Et puis, après encore quelques pas, il remarqua enfin les bouches.
L’ombre de chaque arbre avait des yeux et une bouche.

Mais rien dans tout ceci ne semblait sympathique.
L’une d’elle s’ouvrit sur de grandes dents, et un sourire terrifiant, presque maléfique.
C’était comme si les ombres avaient faim. Et comme si elles allaient le manger…

Il restait une dizaine d’arbres avant le premier passage piéton.
Une dizaine seulement avant de pouvoir traverser et se retrouver sur un trottoir sans arbres.

Imagination ou pas, Jack paniqua et se mit à courir, en essayant d’éviter au maximum de marcher sur les yeux et les bouches.
Surtout les bouches… Elles s’étaient désormais toutes ouvertes, et semblaient vouloir le goûter…

Arrivé au passage piéton, il prit à peine le temps de s’arrêter, ou de regarder.
Heureusement, aucune voiture ne passait par là, aucun moteur ne se fit entendre. D’ailleurs, tout était bizarrement calme…
Jack était seul dans la rue, il semblait n’y avoir aucune vie nulle part, pas même un chat errant ni un oiseau chantant joyeusement le début de l’été.
Arrivé sur le trottoir sans arbres, il prit le temps de reprendre un peu son souffle, sous le soleil bienveillant de l’été.

Il n’aurait pas cru que rentrer seul de l’école puisse être une telle aventure. Il regrettait tout à coup sa mère.
Il regrettait de ne pouvoir lui tenir solidement la main, pendant qu’elle se serait occupée de le rassurer à propos des monstres ou plutôt, des ombres…

Jack n’osait pas regarder derrière lui dans la rue. Il avait peur de voir que ce n’était ni son imagination ni une hallucination.
Il avait peur de cette réalité-là, qu’elle devienne palpable.
Et aussi, il ne voulait pas risquer de voir que les ombres s’étaient détachées pour le poursuivre…

Il se remit à avancer, pressé d’arriver jusqu’à la maison, l’ultime refuge.
Pressé de prendre son goûter, devant la télé peut-être ou une bande dessinée, et d’oublier tout cela.

Le reste du chemin se passa sans encombre, et surtout sans arbres et sans ombres…
Jack traversa une deuxième fois, et n’eut plus que quelques mètre à parcourir jusqu’à sa maison.

Il l’apercevait d’ailleurs déjà, qui se dressait dans la rue, un peu plus haute et évidemment plus belle que toutes les autres maisons.
Mais sur le jardin de devant, il aperçut aussi autre chose… L’ombre projetée de la maison le regardait…

Et une bouche, bien plus grande et bien plus effrayante que celles des arbres, s’ouvrit sur une dentition parfaitement acérée.

Jack n’eut pas d’autre choix que de continuer à avancer, en espérant que tout cela n’était qu’un mauvais rêve, une mauvaise blague, ou n’importe quoi d’autre.

Où aller, sinon ?
Où aller, de toute façon ?

La rue était vide, encore. Silencieuse, toujours. Bien plus que d’habitude.
Où étaient passés les gens ?
Et s’ils avaient été avalés par les ombres ?
Et s’il devait rester seul au monde pour toujours, dans cette atmosphère hostile ?

Ces questions étaient bien trop compliquées pour lui, bien trop insolubles. Il voulait seulement avancer, essayer de rentrer chez lui, et voir ce qui arriverait…
Que peut-on faire d’autre, quand on a sept ans, presque huit ?

Il ne courut pas. Il marcha simplement vers son destin, quel qu’il fût…

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