Chester
Il a dit à sa femme qu’il devait retourner là-bas pour travailler, au calme.
Ces derniers temps, il a des idées, beaucoup d’idées, ça ne s’arrête pas… Il pourrait tout écrire d’ici mais il a laissé là-bas certaines choses dont il a besoin maintenant, et puis c’est là qu’il est le mieux pour travailler…
Il y va donc seul, et promet de revenir vite.
Sur le trajet, la boule d’angoisse grossit peu à peu dans son ventre. Il a menti, mais il ne savait pas. Parce qu’il se mentait à lui-même.
Il n’a pas envie de travailler, rien à faire là-bas. Il a juste besoin d’être un peu seul, remettre ses idées en ordre…
A l’arrivée, la boule d’angoisse se transforme en crise de larmes, presque hystérique. La douleur le transperce de part en part, le déchire, impuissant.
Il a fait tellement d’efforts, mais aujourd’hui il ne peut plus. Il a besoin d’un verre.
L’alcool, il le sait, chassera tout ça. Ça fait longtemps, trop longtemps qu’il se retient. Il y pense de plus en plus ces derniers temps, tous les jours en vérité…
Il hésite, parce qu’il sait qu’une fois la bouteille ouverte, toutes ses promesses seront brisées… Il a peur… Mais sa faille s’est rouverte, elle le fait trop souffrir ce soir, et qu’ils lui pardonnent tous, il aura essayé…
Le premier verre fait du bien, mais pas assez. Un deuxième peut-être ?
La tête tourne, la douceur commence à l’envelopper, mais la douleur est toujours là, l’angoisse toujours mordante, et il ne supporte plus, ne supporte plus…
Il voudrait que ça s’arrête pour de bon, ne plus avoir à y réfléchir. Et l’alcool, bon sang, même ça ne fait rien…
En deux verres, il a brisé des mois et des mois de travail. Que pensera-t-elle de lui quand elle saura ?
Non, ne pas penser à elle, cela réveille d’autres choses, et son cœur lui fait déjà tellement mal.
L’alcool n’est pas la solution, elle aggrave ses problèmes, il le sait. Il ne sent même plus la montée euphorique, ou alors il aurait besoin de beaucoup plus, toujours plus, pour la ressentir à nouveau.
Il n’y a pas de solution. Ou plutôt si, il y en a une, il la connaît…
Et il en a tellement marre de tout ça, tellement, tellement marre…
Il voudrait juste que ça s’arrête.
Il espère qu’ils comprendront, et surtout elle… Qu’au moins Elle lui pardonne…
Il s’offre un troisième verre, comme pour se donner du courage, et parce que ça n’a plus d’importance maintenant que sa décision est prise.
Il sait ce qu’il s’apprête à faire, il ne reste que la question technique à régler…
Il faut quelque chose de rapide, rien qui lui donnerait la possibilité de revenir en arrière s’il regrettait, l’espace d’un instant, d’une seconde… Il est hors de question de se réveiller, comateux, dans un hôpital, pour passer le reste de sa vie en mode légume.
A présent, tout lui paraît plus simple à supporter : ce n’est qu’une question de minutes avant que ce soit terminé. Et ça lui plaît, cette sensation, cette liberté de se dire C’est bientôt fini.
Il peut enfin lâcher prise, laisser les émotions l’envahir, le torturer une dernière fois…
A quoi pense-t-il alors, à quoi pense-t-il d’autre ? Plus rien ne compte sauf la liberté d’après, le repos qui suivra son geste.
Un repos qu’il attend depuis toujours, qu’il cherche, qu’il mérite.
Au dernier moment, une seule pensée, un léger doute. Mais une autre pensée ensuite : Penses-tu vivre une seule seconde de plus avec toute cette souffrance ? Il est trop tard pour reculer.
Pour les derniers gestes qu’il lui reste à faire, il chasse les pensées, verrouille tout son être, ne veut plus réfléchir, se prendre la tête, changer ses plans… La décision est prise, il ira jusqu’au bout.
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