Les yeux plongés dans le vague, il regarde le fond de café de la tasse vide.

Que deviendrons-nous ? pense-t-il.

Que deviendrai-je ?

Encore aujourd’hui, il n’y a rien eu. Rien du tout.

 

Il attend, il patiente. Il fait croire à tout le monde que cette attente est l’occasion formidable de méditer sur la vie, l’avenir, s’arrêter pour mieux aller de l’avant.

Mais qui croit-il tromper avec ses mots ?

Bien sûr que non, ça ne va pas du tout. L’attente est la pire chose au monde, et au lieu d’avancer, il stagne, recule même.

 

Caroline passe sa tête à la porte, et sa voix d’une douceur exquise demande :

-          Ça va ?

Que répondre ? Lui mentir serait vain, il le sait, car elle devine tout.

-          Pas terrible, en fait. Tu sais…

 

Elle ouvre la porte entièrement, et se trouve une place sur le canapé en désordre. Elle pousse un ou deux papier, bruit de froissement. Et s’assoit là comme pour dire Je suis prête à écouter.

Il ne sait par où commencer…

 

Elle le regarde, l’âme tranquille, les yeux profonds, avec cet amour absolu qui le bouleverse chaque fois.

Ce regard qu’il peine à soutenir, tellement il se sent répugnant au plus profond de lui-même… Pourquoi l’aime-t-elle ? Il n’est rien, ne sert à rien, sa vie n’est que misère.

 

Elle ouvre la bouche et le sort de ses pensées.

-          Je sais que rien de ce que je pourrais te dire ne changera ton état. Je n’ai pas envie de faire semblant de te réconforter aujourd’hui, pas envie que tu sortes de cette pièce en faisant semblant d’être d’attaque.

Je sais que tout ça est très dur pour toi, très lourd à porter, et que je ne peux rien  faire.

 

Ces mots dépassent tout ce qu’il aurait souhaité entendre.

 

-          Merci. Je… Je ne sais pas quoi dire. Je crois que j’ai perdu les mots, ou bien ce que je ressens est beaucoup trop lourd et profond pour avoir un sens, même si je le disais. Je me sens englué, tu sais. Je coule, j’étouffe. Je me noie.

-          Je comprends. Mais je sais que tu vas y arriver. Je t’aime, et ne me demande pas pourquoi ou comment… Tu mérites d’être aimé, tu mérites le bonheur, et tu mérites que je sois là pour toi. Surtout dans ces moments pénibles.  Je n’ai jamais douté de ta force, jamais douté de ton courage. Et ce que je vois quand je te regarde, c’est tout ça…

 

Elle élargi les bras comme pour quantifier la chose. Elle le voit si fort, si grand, quand lui s’imagine petit, comme une petite souris qui ose à peine sortir de son trou…

L’émotion déborde. Il ne se rend pas compte à quel point il se sent seul, la plupart du temps. Seul avec tout ça.

Alors qu’elle est là, sur l’île avec lui. Une île pas si déserte, finalement…

-          Caro, je… Je t’aime aussi, et merci d’être là. Vraiment. Même si je ne te le montre pas toujours comme il le faudrait. Tu es mon réconfort. Tu es… Je n’ai pas les mots, même pour ça…

 

Un sourire entre eux, et le soleil semble illuminer la pièce tout à coup…

 

-          Tu veux que je te laisse seul ?

-          Non, j’ai fini. Je veux dire, je vais sortir de cette pièce, j’ai bien besoin de m’aérer de tout ça.

-          Je sais, chéri. Pense à toutes ces années de souffrance, toutes ces années pour en arriver là… Ton courage, ta force. Que sont quelques semaines d’attente, après tout ça ?

-          Tu as raison. Mais j’ai peur quand même.

-          Evidemment. C’est dur, je sais.

Elle se lève et se dirige vers la porte. Odeurs de cuisine. Odeurs du bon repas qu’elle est en train de préparer.

-          J’arrive, dit-il.

-          Prends ton temps.

 

Un baiser sur la bouche, avant de sortir. Papillon qui s’envole dans l’air du printemps… Cet amour est ce qui le rend vivant.

La porte se referme et il retourne à sa tasse vide, ses papiers dispersés, son bureau, le bazar de sa vie.

 

Il a porté plainte contre son père, après des années de sévices. Et maintenant, il attend que les murs de mensonges s’écroulent pour que la vérité éclate enfin.

Rien n’est jamais simple, surtout pas sa vie.

 

Dans le fond de café ses pensées se diluent.

Il regrette tellement d’avoir dû en arriver là. Il regrette d’avoir à faire tout ça.

Ou plutôt, non, il ne regrette pas…

 

Mais il déteste d’avoir été forcé à prendre les coups, forcé à subir les viols, puis désormais encore, forcé de réclamer justice.

 

Ça ne devrait pas être ça, la vie. Ça n’aurait jamais dû être ça… Ce poids sur ses épaules frêles, ce poids qui l’a empêché de vivre, dès le départ.

Mais bientôt peut-être, il sera libéré…

 

 

Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog