Assise là, seule au fond du bar, elle observe la rue, les piétons, les voitures… Ce petit monde qui vit sa vie sans se soucier d’elle et de sa piètre existence.
Elle se noie dans ses pensées en buvant son verre d’eau.
Elle s’imagine, petit poisson nageant dans le verre. Petit poisson rouge idiot.
Le serveur revient vers elle, l’air toujours aussi affable, et lui demande :
« Et maintenant, elle sait ce qu’elle veut ? Passque je suis pas là pour servir que de l’eau, moi ! »
Elle commande un café, mal à l’aise, presque en s’excusant.
Quand elle ose lever la tête pour le regarder, il a déjà fait demi-tour vers le bar.
C’est joyeux ici…
Et dans sa tête elle retourne s’évader, avec le poisson rouge dans un verre d’eau, et quelques étoiles qui dansent autour…
« Je voudrais juste oublier », voilà à quoi elle pense.
Et c’est ça qu’elle aurait dû lui dire, ça qu’elle aurait dû commander à la place d’un café : une pilule pour tout oublier.
Ses yeux se perdent sur la rue, là où le monde continue de tourner, alors que son cœur à elle s’est arrêté.
Et qui se soucie de savoir qu’ici est assise une jeune fille, trop jeune pour perdre l’espoir, mais qui l’a déjà perdu ?
Si le poisson buvait la tasse, il n’en mourrait pas.
Et elle continue de boire son verre, le vidant de deux gorgées.
Maintenant que le verre est vide, le poisson est-il mort ?
Mais il n’y avait rien dedans, sauf de l’eau, et elle se sent idiote d’avoir imaginé n’importe quoi.
Le serveur apporte le café, le pose sans un sourire.
Elle esquisse un « Merci », avec les yeux, avec la bouche, avec la tête.
Mais il ne l’a même pas regardée.
Elle se demande si elle existe vraiment, si elle existe encore, ou si elle ne serait pas comme le petit poisson dans son verre : juste un rêve, à peine un évanouissement, même pas une pensée définie.
Le café la regarde, suppliant : « bois-moi »
Elle regarde le café et pense : « je n’ai pas envie de boire ça ».
Un combat délicat.
Le café supplie : « bois-moi, sinon je serai froid-mort-inutile »
Elle déchire un sachet de sucre, et puis le deuxième, les vide tous les deux et remue dans la tasse.
Et elle boit, d’un trait.
C’est absolument immonde, et alors elle sait qu’elle est vivante, elle le sent par tous ses pores.
A tel point que son estomac se révulse presque, mais elle se retient.
Un regard vers la rue à nouveau, et une petite fille avec des bottes rouges, qui saute de flaque en flaque.
Le regard désapprobateur des passants qui se font éclabousser, et le rire de sa mère.
Et plus la maman rit, plus la petite fille saute. Plus elle saute, plus elle éclabousse.
Il y a quelque chose à trouver dans ce monde, peut-être.
Je veux être comme la fille avec ses bottes rouges.
Je veux oublier que je vis pour vivre.
Je veux oublier que ça éclabousse à chacun de mes pas, ou alors en rire.
Je veux continuer d’exister et ne plus être un poisson rouge dans un bocal.
Je ne veux plus tourner en rond dans mon verre, mais voyager pour de vrai.
Elle pose de l’argent sur la table, assez pour le café et même un peu plus pour le serveur… Parce que, peut-être que lui aussi est dans une mauvaise journée, ou dans une mauvaise vie, et peut-être que c’est pas sa faute à lui non plus.
Et puis, elle se lève et s’en va.
Elle ne sait pas si elle se souvient de la façon de s’y prendre pour sauter dans les flaques.
Elle ne sait pas si elle aura besoin de retrouver le mode d’emploi, si elle ne va pas se tromper d’abord et juste tomber.
Mais en tout cas, elle veut essayer.
Et essayer, c’est le début de quelque chose de nouveau.
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